Des criminels, des relations ambiguës… Jean Genet au Galpon

Source: R.E.E.L, 31 mars 2017, Fabien Imhof.
Adresse originale de l’article: http://www.reelgeneve.ch/des-criminels-des-relations-ambigues-jean-genet-au-galpon

Dérive, spectacle mêlant théâtre, musique, chant et activités circassiennes sur des thèmes librement inspirés de Jean Genet, c’est jusqu’au 9 avril prochain au Théâtre du Galpon, dans une mise en scène signée Loulou.

Le public attend devant la salle. Une corne de brume retentit derrière un rideau. Tout le monde se regarde, incrédule. Un homme (Michel Barras) apparaît. Il est Tony le docker, le narrateur de la pièce. Racontant au public une histoire de meurtre, de maison de passes et de marins… il l’emmène vers la salle. Sur scène, toute la Cie Théâtre du Fil est là. Certains sur un mât, une autre en face d’un miroir, un autre au sommet d’un bateau, un autre encore derrière son bar… Tous croiseront Querelle (Janju Bonzon), le marin criminel. Tous succomberont, à ses armes ou à ses charmes. La violence, les passions, les rapports humains… tout est mis en question dans un spectacle mêlant érotisme et poésie.

Un comportement humain ambigu

Sur scène, on ne retrouve que des hommes. Que des hommes… et une femme, Madame Lysiane (Zoé Cappon), responsable de la maison de passes et épouse de Nono, le patron (Fréddo Lespagnol). Elle est source de toutes les convoitises. Chaque homme, des maçons aux marins de passage, veut devenir son amant. La rumeur raconte que Nono l’accepte, en échange d’une partie de dés. S’il perd, ils peuvent coucher avec elle. S’il gagne, ils le peuvent également… à la condition de coucher également avec lui. Ou plutôt, « de se faire enculer par Nono ». À côté de cela, les rapports entre les hommes sont ambigus. Entre le lieutenant Seblon (Roberto Molo) attiré par Querelle, Gil le maçon polonais (Tanguy Stenfort) amoureux de la sœur de Roger Bataille (Mehdi Azema) mais dont la relation avec ce dernier vire à l’érotisme… ou encore les marins homophobes – qui en rajoutent pour cacher un désir dont ils ont honte – qui se moquent des manières de Gil, les passions érotiques se déchaînent.

Une poésie toujours présente

De prime abord, après cette description plutôt crue – j’en conviens – on pourrait s’attendre à assister à un spectacle graveleux, lourd et sans intérêt. Il n’en est rien. Si, par moments, dans le texte ou dans les actes, les allusions graveleuses s’enchaînent, elles sont toujours rattrapées par une touche de poésie. Ainsi, soit par le texte (on retrouve bien la plume fulgurante de Jean Genet) soit par la musique – un grand bravo à tous les musiciens pour la diversité des morceaux joués, le talent et la note toujours juste – soit par la gestuelle, les actes ou les performances physiques, on ne ressent jamais de gêne, contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre. L’on peut citer quelques passages particulièrement marquants à cet égard. Lors d’une chanson de la Dame de la mort (Zoé Cappon), au texte particulièrement équivoque, l’un des comédiens (Raphaël Perrenoud) effectue une chorégraphie, accompagné d’un cerceau géant, dans lequel il tourne et virevolte, avec une gestuelle fluide, sans accroc, comme si la gravité (terrestre de l’intrigue) n’avait aucune prise sur lui. On retiendra aussi cette scène entre Querelle, couvert de charbon et le Lieutenant Seblon, dans laquelle il fait part, en pensée (exprimée par un éclairage bleuté), de son attirance pour le jeune et beau matelot, dans un texte au style inimitable. Enfin, on citera encore l’interrogatoire de Roger par Mario le flic (Valo Hollenstein), où les deux comédiens se battent sur un mât, dans une impressionnante démonstration de force et de virtuosité artistique. Enfin, les scènes de combat entre les hommes, toujours empreintes d’un érotisme latent, entre violence et sensualité, emportent les spectateurs dans l’univers si particulier de la troupe.

Dérive, c’est un spectacle déroutant, qui procure nombre d’émotions, qui fait réfléchir aussi, sur les rapports entre les hommes. C’est surtout une performance impressionnante, tant au niveau physique – acrobaties et chorégraphies en tous genres – qu’émotionnel, qui mêle la plume inimitable de Jean Genet avec la qualité des circassiens, accompagné par des musiciens talentueux et la puissante voix de Zoé Cappon.

Alors, merci au Galpon, merci à Loulou, merci à la Compagnie Théâtre du Fil pour ce moment de grande émotion, ces deux heures passées dans un autre espace-temps.

Entre poésie et érotisme, Dérive est à voir encore jusqu’au 9 avril sur les planches du Galpon.